2005 - Autoportrait extérieur |
1956 - Ma mère, étudiante
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Béatrice RÉFIEVNA Née en 1965 à Toulon, France. Enfant, j'ai eu la chance de vivre dans une maison où il y avait des livres : romans, arts, sciences et poésies. Tous ces livres étaient à notre disposition, il n'y avait pas de livre interdit. Les parents de ma mère aimaient les livres; ils ont transmis cet amour à leurs cinq enfants. Chaque été, nous allions passer les grandes vacances chez mes grand-parents maternels et, c'est dans leur bibliothéque que je me suis découvert une passion pour les gravures et dessins d'Albrecht Dürer... et pour Charles Baudelaire. C'est là aussi que j'ai rencontré le "Deuxième Sexe" de Simone de Beauvoir. A la maison, sur les étagères de la bibliothèque de ma mère, se trouvaient côte à côte livres de médecine et de poésie... une chance de découvrir le corps et l'âme humaine. Du côté de ma famille maternelle l'éducation était conçue sans violence, Ma mère disait :"Un parent violent c'est quelqu'un qui est impuissant. Quelqu'un qui n'a plus de patience et d'imagination pour chercher les mots justes et les bonnes attitudes à avoir en réponse à l'enfant." De mes grand-parents et de ma mère, j'ai appris que l'éducation se faisait en grande partie à travers l'exemple que nous donnons à nos enfants. Mon Bon-papa, était à la fois distant et très accessible, plaisantait souvent et ne riait jamais, avait l'air soucieux et pourtant se dégageait de lui une grande sérénité. J'aimais le regarder sculpter dans le bois. Il réparait tout ce qui se cassait. Il transformait tout, recyclait tout (même les papiers d'emballage, les petits rouleaux en carton sur lesquels s'enroule le papier toilette, il en faisait des marionettes ou autres bricoles pour amuser les petits). Il était mon modèle paternel; sa mort en 1977, a été une dure épreuve pour l'enfant de douze ans que j'étais. Ma Bonne-maman est morte trois ans plus tard, en 1980. Elle est l'incarnation de cette phrase de Xavier de Maistre : "Ce que nous sommes, ce que nous valons, nous le devons, pour une grande part, à l'amour et au dévouement de notre Maman. C'est sur les genoux de la Mère que se forme ce qu'il y a de plus excellent dans le monde." De même le pire peut se former au contact de certaines mères : "Que toutes les femmes nourrissent leurs enfants du lait de la haine ! " Cette phrase, entendue en 2001, m'a glacée. La violence et le machisme sont hélas souvent transmis par des mères... Ma Bonne-maman a transmis à ses cinq enfants l'amour, la compassion, le respect et l'intégrité que lui ont transmis ses parents. Elle était également pleine de curiosité et de talents; dans un monde ouvert aux femmes, elle aurait pu réaliser encore d'autres grandes et belles choses. Ma mère m'a appris la liberté. Que ma liberté trouve sa limite là où la liberté de l'autre commence et donc que la liberté de l'autre trouve sa limite à la lisière de ma liberté. Ma mère m'a appris le respect, le respect de moi-même, qu'être née dans un corps de genre féminin n'était pas un châtiment. Si je devais retenir un seul événement à propos de ma mère, je choisirais celui-ci : J'étais agée de treize ans et j'allais dans une école catholique dans laquelle ma mère enseignait le français. Lors d'un cours de catéchisme, je m'étais "rebellée" contre les propos de la catéchiste qui avait une pensée trop machiste à mon goût. Le dieu dont elle parlait, était sans aucun doute permis un principe masculin pourvu d'un "corps spirituel masculin" (!?!) et j'avais beaucoup de mal à écouter et me taire. Arriva ce fameux jour où, excédée, je déclarais être choquée qu'en cette fin de siècle (1978), on puisse encore dire de telles choses à des enfants. Que Dieu, s'il existait, n'était pas un principe mais un ÊTRE et que cet ÊTRE ne pouvait pas avoir de testicules et de pénis. Qu'en haut de la Chapelle Sixtine, Michel-Ange avait peint le péché premier de toutes les religions, à savoir que : c'est Adam qui de la pointe de son index crée un dieu à son image. Ce dieu masculin est un alibi pour dénigrer les femmes. Si Dieu existe, deux options se présentent à nous : soit c'est un être divin asexué, soit c'est un être divin bisexué ! Mais ce qui importe est que Dieu soit LUMIÈRE. La catéchiste était outrée. A la fin du cours nous sommes allées dans la classe de ma mère, qui après avoir écouté en silence, répondit calmement : "Dieu nous a créé libre de penser, n'est-ce pas... alors comment pourrais-je enlever à ma fille cette liberté que Dieu lui offre?". La catéchiste est restée sans voix. Lorsque nous avons été seules, ma mère s'est retournée vers moi et elle m'a dit l'air étonné : "Je n'avais jamais pensé à cela..." Depuis ce jour, je ne dis plus le "Notre Père" de la même manière. A quoi bon sanctifier un nom, une étiquette qui varie selon les pays, une étiquette au nom de laquelle des guerres et des meurtres sont justifiés; je sanctifie désormais un ÊTRE. A quoi bon chercher un père dans le ciel pour compenser la grande absence de nombreux pères, leur fuite face aux tâches ingrates et humbles qui construisent la vie d'un enfant. Je dis depuis ce jour là, et j'ai enseigné à mes enfants les mots suivants: LUMIÈRE NÉE DE LA LUMIÈRE QUE VOUS SOYEZ SANCTIFIÉE,
QUE VOTRE RÈGNE VIENNE, QUE VOTRE VOLONTÉ SOIT FAITE SUR LA TERRE COMME AU CIEL
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