Il se leva et se dirigea vers la chambre de Musashi.
Celui-ci était
à genoux, silencieux, comme en méditation, son pinceau et
son encrier à côté de lui. Il avait
déjà fini une peinture: un héron sous un saule.
Le papier qui se trouvait maintenant devant lui était vierge. Il
se demandait quoi dessiner. Ou plutôt, il essayait en silence de
se mettre dans l'état d'esprit qu'il fallait, car c'était
nécessaire avant de pouvoir se représenter le tableau, ou
de savoir quelle technique il emploierait.
Il
considérait le papier blanc comme le grand univers de la
non-existence. Un simple coup de pinceau y ferait naître
l'existence. Il pouvait évoquer la pluie ou le vent à
volonté mais, quoi qu'il dessinât, son coeur subsisterait
à jamais dans le tableau. Si son coeur était corrompu, le
tableau serait corrompu; si son coeur était agité, le
tableau le serait aussi. S'il essayait de faire étalage de son
adresse, impossible de le cacher. Le corps humain s'efface, mais
l'encre survit. L'image de son coeur survivrait après que
lui-même aurait disparu.
Il
sentit que ses pensées le retenaient. Il était sur le
point d'entrer dans le monde de la non-exixtence, de laisser son coeur
parler seul, indépendamment de son ego, libéré de
la touche personnelle de sa main. Il essayait d'être vide,
attendant l'état sublime où son coeur s'exprimerait
à l'unisson de l'univers.
Mer et Mistral (détail) - 2003
Béatrice Réfievna - Huile et mixte sur toile