Chaque être est un univers
Exposition du 1er juin au 29 septembre 2006
Office de Tourisme de Saint-Denis
1 rue de la République - 93 200 Saint Denis - Métro : Saint-Denis Basilique
Ouvert du lundi au samedi : 09h30 - 13h00  et  14h00 - 18h00
Dimanches et jours fériers : 10h00 - 13h00  et 14h00 - 16h00

Visite de l'exposition
A un jeune artiste
5 janvier 1949
Cher J.K.,

" (...) La seule chose qui compte, c'est le fait que chacun de nous est le dépositaire d'un héritage et le porteur d'une mission ; chacun de nous a hérité de son père et de sa mère, de ces nombreux ancêtres, de son peuple, de sa langue certaines particularités bonnes ou mauvaises, agrèables ou fâcheuses, certains talents et certains défauts, et tout cela mis ensemble fait de nous ce que nous sommes, cette réalité unique dénommé J.K. en ce qui te concerne. Or, cette réalité unique, chacun de nous doit la faire valoir, la vivre jusqu'au bout, la faire parvenir à maturité et finalement la restituer dans un état de perfection plus ou moins avancé. A ce propos, on peut citer des exemples qui laisse une impression ineffaçable et qu'on trouve en abondance dans l'histoire universelle et l'histoire de l'art. Ainsi, comme on le voit dans beaucoup de contes de fées, il y a souvent un personnage qui est l'idiot de la famille, le bon à rien, et il se trouve que s'est à lui qu'incombe le rôle principal et c'est précisément sa fidélité à sa propre nature qui fait paraître médiocres, par comparaison, tous les individus mieux doués que lui et favorisés par le succès.





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C'est ainsi qu'au commencement du siècle dernier vivait à Francfort la famille Brentano, riche en individualités supérieurement douées. Sur la vingtaine d'enfants qu'elle comptait alors, deux sont célébres aujourd'hui encore : les poètes Clemens et Bettina Brentano. Eh bien, ces nombreux frères et soeurs étaient tous des gens très doués, intéressants, supérieurs à la moyenne, des esprits étincelants, des talents de premier ordre. Seul l'aîné était et demeura simple d'esprit et passa toute sa vie dans la maison paternelle, paisible génie du foyer dont on ne pouvait rien faire ; catholique, il observait tous les devoirs de la piété ; en tant que fils et frère il se montrait patient et débonnaire et, au milieu de la joyeuse et spirituelle bande de ses frères et soeurs où l'excentricité se donnait souvent libre cours, il devint toujours plus le centre silencieux et calme de la famille, une sorte d'étrange joyau domestique d'où rayonnaient la paix et la bonté. Ses frères et soeurs parlent de ce simple d'esprit, de cet être infantile, avec un respect, une affection qu'il ne témoignent à personne d'autre. Donc, à lui aussi, à ce bêta, à cet idiot, il avait été donné d'avoir un sens et une charge, et il les avait assumés d'une manière plus complète que tous ses brillants frères et soeurs. (...) "
Hermann Hesse
Lettre à un jeune artiste