Enivrez-vous

Il faut être toujours ivre. Tout est là : c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.
Mais de quoi?
De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous.
Et si quelques fois, sur les marches d'un palais, sur l'herbe verte d'un fossé, dans la solitude morne de votre chambre, vous vous réveillez, l'ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l'étoile, à l'oiseau, à l'horloge, à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est; et le vent, la vague, l'étoile, l'oiseau, l'horloge, vous répondront: "Il est l'heure de s'enivrer! Pour n'être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous; Enivrez-vous sans cesse! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise."
Charles Baudelaire


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Vendredi 1er octobre 1943
Entretien 15 avec Gitta


- Ce qui est Voie pour vous est Poids pour moi.
Le Poids qui pèse sur la terre c'est la Voie.
La rédemption éléve le Poids et il n'y aura plus de Poids.
Tant que nous ne sommes pas unis, nous ne pouvons pas élever.
Toute ivresse est avant-goût du Sans-Poids.
C'est pour cela que l'homme la recherche...
mais sur le mauvais chemin
SOYEZ IVRES DE Ô !
C'est cela le symbole du vin, c'est SON sang.
Vertu, bonté, bonnes intentions ne sont que des pots ébréchés,
pots vides, sans Boisson.

A CELUI QUI VRAIMENT DEMANDE À BOIRE, LA BOISSON EST DONNÉE.
Soit bien attentive!
Toute ivresse est hommage à Ô.
L'ivresse la plus grande absorbe la plus petite.
Mais la plus petite continue à vivre dans la plus grande,
Rien n'est perdu!
Qu'il n'y ait donc plus de doute en ton âme!
LE PLUS SACRÉ, C'EST L'IVRESSE.





Dialogues avec l'ange
Retranscrit par Gitta Mallasz - Editions Aubier Montaigne 

(En hongrois "Ô", Dieu, n'est ni masculin ni féminin. Le mot Dieu a été usé et vidé de son essence pour n'être plus qu'une coquille vide, une étiquette au nom de laquelle on ose tuer. Voilà pourquoi j'ai recopié la traduction française des Dialogues en écrivant Ô à la place du mot Dieu, comme il a été écrit dans la traduction anglaise "Talking with angels")